Vers une plus grande maîtrise des levains (1/5)

Les générations de fermenteurs se suivent mais ne se ressemblent pas (à gauche : Fermentolevain de Bertrand Puma, trophée de l’innovation Europain 1994 ; à droite, le modèle le plus récent de la marque).

Alors que la science du levain et la technologie des fermenteurs progressent, l’artisan boulanger avance encore timidement dans ce domaine d’expertise. Comment est-il possible de se perfectionner avec les fermenteurs de nouvelle génération ?

Le levain naturel fait maison tend peu à peu à s’imposer dans les usages professionnels, bien au-delà de ses applications usuelles : pains au levain, à l’ancienne ou bio­logiques. Il faut dire que son image on ne peut plus positive agrège toutes les aspirations contemporaines en termes de goût, de santé, d’authenticité ou de responsabilité écologique. Le storytelling autour du levain n’a pas non plus son pareil pour séduire une clientèle en quête de sens.

Un succès justifié pour ces machines

Par son effet améliorant (anti-rassissement, anti-dessèchement), le levain agit en faveur de la fraîcheur des produits, ce qui offre l'avantage de pouvoir conserver le pain plus longtemps. Concernant ses bénéfices santé, son acidité — pH autour de 5 — facilite la digestibilité du gluten et l’assimilation des minéraux en agissant sur l’activité des enzymes (phytases, protéases). La typicité gustative du levain est aussi largement appréciée par les consommateurs, et ce, sur quasiment toutes les grandes références (tradition française, campagne, farines de meules ou de blés anciens, graines et céréales, etc.).

Les artisans passionnés de levains devraient pouvoir élaborer deux ou trois saveurs différentes grâce à ces machines. (© A. TANDEAU)

Contrairement à la levure de boulangerie, utilisée surtout pour sa production gazeuse et qui reste très standardisée, le levain a le gros avantage d’être personnalisable à l’infini. Avec la grande diversité des micro-organismes répertoriés — une douzaine d’espèces de levures et une vingtaine de bactéries lactiques pour les levains français —, la multitude des mères ancestrales disponibles (certaines sont maintenues dans des bibliothèques à levains) et la diversité des recettes personnelles (chaque artisan a son petit secret), il est possible de produire tout un panel de consistances (épaisses ou liquides), d’arômes (froment, épeautre, seigle, sarrasin, par exemple) et de saveurs (aigres, acidulées, douces). Bref, avec autant d’atouts, la demande explose en boulangerie et l’artisan n’hésite pas à en ajouter à toutes ses pâtes (à tartes, pizzas, brioches, viennoiseries…).

Des systèmes perfectionnés

Afin de tenir la cadence et de garantir la reproductibilité des recettes, de plus en plus de professionnels optent pour le levain liquide et font l’acquisition d’un fermenteur. Pratique et fiable, l’appareil permet d’adapter cette production ancestrale aux contraintes de l’entreprise contemporaine (qualité, productivité, régularité, hygiène…). L’équipement s’intègre dans tous les fournils grâce à une gamme de capacités toujours plus étendue (production journalière de 14 kg jusqu’à plus de 300 kg).

Les modèles actuels proposent aussi une fourchette de température élargie, de + 5 °C à + 35 °C, ce qui donne la possibilité au boulanger de gérer son levain maison comme il l’entend et de le conserver indéfiniment.

Les systèmes de chauffe et de réfrigération, plus doux et délicats, ont été améliorés pour préserver la vie microbienne. Sur de nombreux modèles (sauf Tradilevain de JAC qui dispose d'un tout autre système), la source de froid (serpentin frigorifique) et de chaleur (cordon électrique) vient entourer la cuve sur sa surface extérieure, tandis que l’outil mélangeur est doté d’un racleur qui décolle en continu le levain de la paroi sur sa surface intérieure.

À noter qu’un levain chaud gagne en fluidité — il est plus facile à soutirer et à doser — et en réactivité — il favorise le démarrage rapide de la fermentation panaire —, alors qu’un levain froid voit son activité bloquée : on peut ainsi le conserver pendant le week-end sans risque.

L’inox alimentaire est devenu un standard de qualité sur les fermenteurs actuels. (© A. TANDEAU)

Piloter ses fermentations

En agissant sur les conditions du milieu, il est également possible de privilégier une sorte de fermentations (alcoolique, homolactique, voire hétérolactique) et la colonisation du mélange farine-eau par un type de micro-­organismes (levures alcooliques, bactéries lactiques). C’est là que le fermenteur devient un véritable outil de pilotage.

En jouant sur la température, l’artisan peut maîtriser l’activité de son levain (production de gaz ou acidification) et opter pour des notes douces et légères (fermentation alcoolique à 25-30 °C) ou des saveurs plus acidulées (fermentation homolactique à 15-20 °C), voire piquantes et aigres (fermentation hétérolactique à 30-35 °C, qui est plutôt l’apanage du levain dur).

Sur levain liquide, en vue d’induire une fermentation plutôt qu’une autre, les conditions d’oxygénation peuvent être prises en compte. L’aérobiose — présence d’oxygène ou d’air — favorise la fermentation alcoolique (gazeuse, non acidifiante), alors que l’anaérobiose — raréfaction de l’air ou de l’oxygène — soutient les fermentations lactiques (plus ou moins gazeuses ou acidifiantes).

À cet effet, la vitesse de rotation du mélangeur, le nombre et la durée des rafraîchis ou la fréquence des brassages jouent un rôle clé : l’agitation et l’ajout de farine font pénétrer l’oxygène et libèrent le gaz carbonique. Certains modèles, comme le Tradilevain de Jac, dotés d’une cuve hermétique, d’une vanne d’aération, de pales immergées et d’un variateur de vitesse, favorisent le contrôle de l’apport d’oxygène. Le taux d’hydratation, et donc la consistance, la farine (céréale, type, mouture sur meule ou non, etc.) et les sucres ajoutés (jus, miel, cassonade, par exemple) ont aussi toute leur importance.

Une prise de contrôle simplifiée

Grâce aux nouvelles platines de commande tactiles intelligentes, il est aisé de contrôler et de modifier la température, l’intensité du brassage, et même de programmer les différentes phases de production : frasage (mélange des ingrédients), enrichissement (multiplication microbienne), maturation (fermentation), conservation — le vocable et le nombre de phases utilisés par les constructeurs peuvent différer.

Un système d’alerte indique les opérations à effectuer selon la recette enregistrée, avec plusieurs programmes possibles. Les opérations de soutirage et de remplissage sont assistées à l’aide d’un dispositif de pesage de la cuve (option Bertrand Puma, Jac) ou de mesure de niveau par infrarouge (Bongard), ce qui fait gagner du temps et minimise le risque d’erreur.

Les calculateurs sont aussi appréciables : on entre la quantité de levain souhaitée et la machine estime la quantité d’eau, de farine et de mère. Le risque de débordement ou l’excès de soutirage (il est nécessaire de garder un certain volume de levain pour la production du lendemain) sont évités à l’aide de capteurs et de systèmes d’alerte (Jac, VMI).

Le levain, un art dans l’art

L’univers du levain est un domaine d’expertise à part entière, au sujet duquel l’artisan boulanger contemporain est invité à progresser. Le fermenteur a l’avantage de permettre aux passionnés d’aller très loin sur les saveurs, et même sur d’autres cultures microbiennes (levains acétiques, poolishs de levure commerciale ou sauvage, sons lactofermentés…).

Mais force est de constater que son potentiel est bien souvent sous-exploité, l’artisan cherchant d’abord à régulariser son unique recette de levain liquide lactique et à la maintenir dans le temps. Dans cette perspective de reproductibilité, les fabricants ont fait de gros efforts pour éviter les dérives et les contaminations en facilitant le nettoyage (outil mélangeur et vanne de soutirage démontables et lavables, cuve et habillage en inox, douchette raccordée à une arrivée d’eau, robinet de soutirage de fond de cuve…). Les zones difficiles d’accès sont mieux maîtrisées.

L’hygiène étant fondamentale si l’on veut maintenir son levain dans le temps, il est conseillé de nettoyer intégralement la machine chaque jour à l’eau chaude (en réservant sa mère au froid).

Notez que les fabricants sont à vos côtés, pour vous accompagner au démarrager que ce soit à partir de votre propre levain maison, d’une mère ancestrale ou d’un starter commercial ; voire pour vous assister lors de la création de votre premier levain chef. De nombreuses recettes, disponibles parfois sur les machines, ont également été mises au point. Avec toutes ces possibilités, à vous de sortir des sentiers battus !

Lire le reste du dossier :

- Bertrand Puma : le Fermentolevain

- L’AF100 Digy de VMI

- Le Tradilevain de Jac

- Le Divain de Bongard

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